Nicolas Weissenbacher - Avocat associé, cabinet Altij

15 septembre 2014
Nicolas Weissenbacher
‘‘L'état de notre jurisprudence communautaire en matière de contrefaçon de marque sur Google AdWords est bien triste...’’

Vous googlelisez-vous souvent ?

Très rarement, essentiellement pour deux raisons inhérentes au métier d’avocat tel que nous l’exerçons au sein du cabinet ALTIJ.

Tout d’abord, nous surveillons et défendons suffisamment l’e-réputation de nos clients chaque jour, pour ne plus avoir le loisir de nous occuper de la nôtre. Les cordonniers sont définitivement les plus mal chaussés…

Ensuite, nos meilleurs prescripteurs restent nos clients eux-mêmes, qui pour des raisons de confidentialité évidentes, crient rarement leur joie de nous avoir pour conseils sur le web.

Ce qui est intéressant en revanche, c’est d’être bien référencé sur le moteur de recherche sur des requêtes correspondant à notre cœur d’expertise.

Votre première fois sur internet ?

J’ai le souvenir ému du bruit caractéristique du modem 56ko/s !

En 1998, mes parents ont souscrit un abonnement Internet et m’ont invité à aller surfer sur le web au motif que j’aurais « accès à des encyclopédies en ligne qui me permettraient de réaliser de brillants exposés ». J’ai donc d’abord paradoxalement perçu l’arrivée du web dans ma maison comme une nouvelle contrainte pédagogique… avant de découvrir qu’il s’agissait en réalité d’une véritable révolution bouleversant le champ des possibles.

Ce qui était également nouveau avec ma génération, c’est que nous avons connu Internet avant d’être familiarisés avec les outils informatiques. À l’époque, je n’avais encore presque jamais utilisé de traitement de texte ou de tableur. L’usage du web s’est fait naturellement, sans le fastidieux apprentissage d’outils.

Un site ?

Legalis.net, un site exclusivement dédié à l’actualité du droit des nouvelles technologies (droits d’auteur, marques, e-commerce, diffamation, vie privée…). L’originalité du site tient à son mode de fonctionnement contributif. Lorsqu’une décision de justice intéressante est rendue sur un sujet, l’avocat concerné la communique à l’équipe du site qui la publie, voire la commente. C’est une logique participative nouvelle en matière de droit qui enrichit notre réflexion sur les problématiques digitales, et donc nous permet ensuite de mieux défendre nos clients.

Un outil ?

En premier lieu, Lexis360.fr, une base de données compilant contenus encyclopédiques, textes de lois, décisions et articles de doctrine. Mais aussi des moteurs de recherche spécifiques au droit de la propriété industrielle, et notamment aux marques comme la base de données de l’INPI pour la France, ou celle de l’OHMI pour l’Union européenne. Un dernier outil enfin : Darts-IP.com, une base de données globale de jurisprudence en matière de propriété intellectuelle.

Ce sont tous des outils juridiques essentiels pour exercer le droit de la propriété intellectuelle et des technologies avancées, que je dois consulter une vingtaine de fois par jour pour bâtir mes dossiers et défendre mes clients.

Un projet, un exemple, un acteur à suivre ?

Google, bien évidemment ! Je suis conscient du fait que c’est un lieu commun, mais je vais tâcher d’enrichir la réflexion à travers l’œil de l’avocat que je suis.

Google est une entreprise omnipotente, en position monopolistique, pouvant mettre à genou tout acteur du web sur un simple changement d’algorithme. Cela a une incidence certaine sur le référencement naturel des entreprises qui sont alors poussées à faire du référencement payant (AdWords) pour conserver leur visibilité sur le moteur de recherche.

Or, vous savez sans doute que la Cour de Justice de l’Union Européenne a participé à une forme de « libéralisation » de la réservation de mot-clefs sur le programme de référencement payant Adwords, aux mépris des titulaires de droits, et notamment de droits de marques, en décidant, aux termes de trois arrêts dits « Google » du 23 mars 2010 que :

– Google bénéficie du régime de responsabilité allégée de l’hébergeur, et ne peut donc (presque) en aucun cas être condamné pour contrefaçon dans l’hypothèse où un annonceur indélicat réserverait à titre de mot-clef la marque de son concurrent ;

– L’annonceur, quant à lui, peut être condamné pour contrefaçon, mais uniquement lorsqu’il pourra être établi qu’il porte atteinte à la fonction d’indication d’origine de la marque, l’usage de la marque d’autrui étant illicite quand il pourra démontrer :

  • Que « l’annonce suggère l’existence d’un lien économique entre le tiers et le titulaire de la marque » ;
  • Ou que « l’annonce demeure à tel point vague sur l’origine des produits ou services en cause qu’un internaute normalement informé et raisonnablement attentif n’est pas en mesure de savoir, sur la base du lien promotionnel et du message commercial qui est joint à celui-ci, si l’annonceur est un tiers par rapport au titulaire de la marque ou s’il est économiquement lié à celui-ci ».

En définitive, la Cour de Justice de l’Union Européenne a accordé une immunité quasi-totale à Google, fruit semble-t-il d’un lobbying forcené : 95% du modèle économique de la firme de Mountain View aurait été remis en question !

Nous aboutissons donc aujourd’hui à une situation aberrante, pour ne pas dire odieuse, où, pour exister sous sa propre marque dans les résultats payants de Google, il est nécessaire de surenchérir face à une concurrence qui achète aussi votre propre signe distinctif. Et à qui cela profite ? Sûrement pas aux annonceurs, ni même à l’internaute, mais bien à Google…

Voilà le triste état de notre jurisprudence communautaire en matière de contrefaçon de marque sur AdWords… Heureusement que certains magistrats français prennent encore des décisions courageuses et frondeuses sur la base d’autres fondements juridiques tels que la concurrence déloyale et/ou parasitaire.

Ce que vous détestez sur internet ?

Ce que je déteste est le pendant de ce que j’aime. Ce que j’aime, c’est la liberté apportée par le net ; et ce que je déteste donc, c’est cette même liberté qui est source de tous les abus. Le constat est que nous n’avons pas aujourd’hui d’outil de régulation à la mesure du web.

Beaucoup de choses restent à faire, même si des exemples comme celui de la lutte contre le cyber-squatting et les solutions de règlement alternatif des litiges imaginées dans ce cadre invitent à l’optimisme. Je pense notamment à la procédure relative aux Principes directeurs UDRP pour les domaines génériques de premier niveau (TLD génériques), solution (très) efficace pour remédier à l’enregistrement abusif et à l’utilisation de mauvaise foi de noms de domaine portant atteinte à des droits attachés à des marques. Le grand intérêt de cette procédure, outre sa rapidité, tient à ses modalités d’exécution, qui, une fois n’est pas coutume, sont d’une efficacité redoutable : l’unité d’enregistrement (du nom de domaine cyber-squatté) est tenue d’exécuter la décision de la commission administrative dans un délai de 10 jours ouvrables.

L’idéal serait d’arriver à mettre en place d’autres procédures de règlement alternatif des litiges pour d’autres problématiques de propriété intellectuelle que le cyber-squatting de noms de domaine.

Contribuez-vous personnellement à internet ?

Oui, dans la mesure où mon action d’avocat vise chaque jour à participer, modestement, à la régulation du web.

En revanche, si notre cabinet a un site web et un profil Facebook sur lesquels nous assurons pour nos clients et les internautes une veille juridique sur certaines questions, je n’ai, à titre privé, ni profil Facebook, ni compte Twitter. Je suis d’ailleurs loin d’être un fan de Twitter, que je juge comme un outil extrêmement dangereux. Il incarne pour moi le culte de « l’instant », de la réaction à chaud, par nature beaucoup trop spontanée pour être mûrie et réfléchie, et donc une incitation permanente au dérapage. Or, le droit à l’oubli reste chimérique, et tout ce qui finit sur la toile semble gravé dans le marbre. Il n’y a qu’à voir l’embarras des hommes politiques, qui bien que soucieux d’effacer certains de leurs anciens tweets, les voient réapparaître dans un effet boomerang terrible au gré de leur actualité.

L’internet de demain, vous le voyez comment ?

Je pense que la création, quelle qu’elle soit, a beaucoup à gagner du crowdfounding. Peut-être est-ce une alternative réaliste et plus juste au modèle économique actuel. Mais la nature humaine (trop peu altruiste) le permettra-t-elle ?

Quel métier web conseilleriez-vous à votre fils ou à votre fille ?

Mes enfants sont encore jeunes (1 et 4 ans), même si chacun laisse déjà entrevoir les traits d’un tempérament bien marqué…

Quitte à sauter à pieds joints dans le « cliché », j’imagine ma fille développer une âme de créatrice et une sensibilité artistique. Je la verrais donc bien travailler dans l’univers du graphisme ou de la production audio-visuelle, ou peut-être dans une agence de communication, mais qui n’existe pas encore. Avions-nous idée de l’évolution de la communication il n’y a ne serait-ce que 10 ans ?

Quant à mon fils, je l’imagine dans les métiers du code. Un développeur se retrouve à la source de la création web, le fantasme de la « matrice » par excellence !

3 conseils que vous donneriez à un directeur marketing ?

1/ Osez transgresser les règles établies de la communication, et seulement celles de la communication !

2/ Elevez-vous par vous-même, non en portant votre regard sur le concurrent, et créez votre propre identité.

3/ Soyez extrêmement vigilant quant au respect du cadre législatif et à la protection de l’identité que vous aurez créée. La liberté, sur le web comme ailleurs, a ses limites. Il convient d’une part de protéger ses actifs immatériels et de faire valoir ses droits, et d’autre part de ne pas s’exposer à des actions judiciaires, notamment en contrefaçon et/ou en concurrence déloyale.

 

A propos de Nicolas Weissenbacher :
Nicolas Weissenbacher est avocat associé du cabinet Altij (Toulouse et Bordeaux), au sein des pôles Droit de la Propriété Intellectuelle & Droit des Technologies Avancées. Il exerce à Bordeaux où il intervient auprès d’entreprises et leurs dirigeants.

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