Vous googlelisez-vous souvent ?
Je me suis prêté à l’exercice pour préparer l’interview car je ne recherche jamais mon nom sur Google. Comme je ne travaille pas mon e-réputation, j’ai été agréablement surpris de constater que les résultats présentent une vraie rétrospective de mon activité professionnelle sur ces 15 dernières années. On remonte à 2000, en pleine bulle internet, au moment où je lançais ma start-up Octavo. J’ai ainsi retrouvé des articles de presse et interviews dont je ne souvenais pas. Je ne suis pas une bête médiatique, cela me convient donc très bien ainsi. De toutes manières, après toutes ces années passées à Toulouse, je n’avais aucune raison de m’inquiéter : aucun déboire professionnel, ni casseroles !
Par curiosité, j’ai aussi fait l’expérience sur Google Images qui offre un tableau fidèle des projets (sur l’open data, par exemple) que j’ai pu mener ces dernières années et des distinctions obtenues. Ah ! Les QR codes… Une période intense de ma vie professionnelle.
Votre première fois sur internet ?
J’en ai un souvenir très précis. C’était en 1995, au moment où je venais de créer Octavo. On parlait beaucoup d’internet dans les médias sans réellement voir à quoi cela ressemblait. Je donnais un cours à l’université Paul Sabatier et j’ai remarqué au fond de la salle le pc portable d’un élève arborant le logo « Linux Inside ». Je l’interroge à ce sujet et il m’explique que Linux est un logiciel libre.
« Mais, tu fais quoi exactement ? ». Sa réponse intrigante : « Je fais internet ». Il m’a conseillé d’acheter un modem et m’a proposé de me donner un accès. C’est ainsi que j’ai eu mon premier correspondant par email.
Je pense que j’ai commencé à lire des documents sur mon domaine de prédilection, la typographie. J’ai découvert des publications passionnantes de l’université de Laval, au Québec.
Un site ?
Google Chrome Experiments, la plateforme communautaire dédiée au développement d’applications pour Chrome. Google a réussi à fédérer une communauté très dynamique autour de son navigateur. Nous y voyons apparaître des projets jusqu’alors réservés aux logiciels et aux applications. Le web devient ainsi une véritable application, un laboratoire où l’on voit apparaître des nouvelles technologies qui deviendront à court terme de nouveaux standards. J’estime que c’est dans ce type de lieux virtuels que se jouent les innovations numériques liées à l’interactivité et aux interfaces. C’est pour moi une source de culture web et de veille exceptionnelle.
Un outil ?
Je trouve que ce que fait Sylvain Wallez, fondateur de la start-up toulousaine Actoboard, est épatant ! C’est une petite équipe au talent immense. Leur outil de visualisation de données agrège et actualise en temps réel en un seul et même tableau (ou dashboard) toutes les données produites par des web services (logiciel de comptabilité, de CRM, Google Analytics, données bancaires…). Il est possible de customiser des rendus graphiques en fonction des données que l’on croise et du type de hiérarchisation que l’on veut créer. C’est l’outil absolu pour l’exploitation des Big Data en entreprise !
Un projet, un exemple, un acteur à suivre ?
Les mouvements des makers que l’on voit naître un peu partout dans des tiers lieux, les fab labs, le retour du do it yourself. Les innovations apportées par le numérique permettent un partage généralisé des connaissances, le détournement d’outils pour en produire d’autres : c’est le concept d’innovation ouverte. Ce que je trouve fantastique, c’est que chacun peut y trouver sa place : petit ou grand, érudit ou non… Ces territoires d’échanges où l’on fait du crowdsourcing ou du crowdfounding bousculent l’ordre établi.
Deux exemples concrets :
- « La start’up est dans le pré » qui démontre que les événements techno ont aussi leur place à la campagne.
- « TerroirCamp», co-fondé par Ludovic Roif, qui prouve que le numérique peut apporter sa pierre au concept de filière courte comme les AMAP.
Ces sujets me passionnent. J’aime à dire : « Le numérique transforme les esprits ; les esprits transforment les choses ».
Ce que vous détestez sur internet ?
Je ne vois pas de différence entre ce que je déteste habituellement dans la vie, et sur internet. Les propos extrémistes, les égos surdimensionnés, ou le pickpocket dans le métro, tous ces comportements se sont adaptés au digital. Ce qui me fait le plus rager, c’est le spam. Comment peut-on encore y trouver un quelconque intérêt ? Comment peut-on encore en tirer profit ? Certes, ces techniques piègent certains seniors et autres usagers néophytes sur le web. Mais le problème essentiel est qu’elles prennent une quantité inouïe de ressources en faisant surchauffer les data centers. Et peu de personnes réalisent que ces ressources numériques demandent une énergie bien réelle pour fonctionner.
Contribuez-vous personnellement à internet ?
Pas particulièrement, mais je dois bien reconnaître qu’avec Twitter je n’ai jamais autant contribué au web. A la découverte de Twitter, on se demande bien ce que c’est et à quoi cela pourra servir. Mais passé ce stade, on se rend rapidement compte de son potentiel incroyable. C’est avant tout une plateforme d’échanges : nous écoutent qui le souhaitent. On finit par créer des interactions constructives qui trouvent leur prolongement dans la vraie vie. Par exemple, il est très simple de lancer un tweet lors d’une conférence pour identifier les followers présents. Je partage aussi ma veille sur ScoopIt. Ce couple d’outils m’a permis de créer une solide audience. Il est vrai que leur valeur réside plus dans la sélection et le partage d’informations, plus que dans les propos eux-mêmes. Mais cela me convient : je m’exprime plus par la forme des mots et les couleurs qu’avec les mots eux-mêmes (NDR : Frédéric est passionné de communication visuelle et de typographie).
L’internet de demain, vous le voyez comment ?
L’informatique est devenue ubiquitaire, même dans des endroits où on ne la soupçonne pas. Et le web devient aussi ubiquitaire. Dans le creux de la main, en grande partie grâce à Apple, puis un peu partout grâce aux opérateurs qui permettent un accès plus aisé à la data. En 1995, je découvrais internet et tout son potentiel. Mais il manquait la mobilité. Je me souviens encore qu’il fallait trouver un pc connecté dans un cyber café ou chez un copain pour lire ses mails. Maintenant les objets connectés sont partout. Nous vivons dans un environnement hyper connecté et cela s’accélère encore. Ce qui me pousse à dire que le numérique doit faire partie de l’ADN de chacun, non au sens littéral du terme, ni d’un point de vue individuel, mais au sein de la société et des entreprises.
Une illustration : on ne se pose plus la question de ce que l’on peut mettre sur le net. Ce sont les échanges et les interactions spontanées qui créent l’internet et relient le monde. Dans le cadre de Google DevArt (l’art par le code), nous avons mené un travail sur l’agrégation de contenus qui a donné naissance à Eternal#sunset. L’idée de départ est partie d’une réflexion artistique sur le fait qu’à un instant T, le soleil se couche quelque part dans le monde. C’est un phénomène universel : chacun est sensible à cette lumière couchante. Que se passe-t-il à ce moment précis ? Des gens prennent une photo de ce coucher de soleil et la partage sur Twitter et Instagram. Nous avons alors eu l’idée de créer une mosaïque connectée en temps réel. A toute heure du jour ou de la nuit, la mosaïque s’enrichit de nouvelles photos de couchers de soleil. Cette œuvre d’art numérique a quelque chose de rassurant : la Terre continue de tourner et des gens sont là pour en témoigner. Et cela nous relie tous.
Notre projet a été retenu dans le top 20 des œuvres produites dans le cadre de Google DevArt et nous avons été invités en juin dernier à San Francisco au Google I/O où nous avons été récompensés.
Quel métier web conseilleriez-vous à votre fils ou à votre fille ?
Je ne leur conseillerais aucun métier en particulier. Mon idée est plutôt de les préparer au monde, en les poussant à développer leur esprit critique, en les rendant plus ouverts aux différents possibles. C’est ainsi qu’ils trouveront le chemin qui leur correspondra le mieux. C’est à eux de créer les armes et outils pour s’accomplir dans une perspective professionnelle.
Ce dont je suis persuadé, c’est qu’ils devront avoir une relative familiarité avec le code et la programmation, un minimum d’appétence pour ces sujets pour ne pas rester à l’extérieur du monde numérique. Ces compétences donnent de réelles capacités d’abstraction pour « voir » le numérique.
J’ai d’ailleurs une anecdote à ce propos. Mon codeur avait fait une erreur de programmation et cherchait une raison bien trop compliquée à cela. En jetant un coup d’œil sur son écran, j’ai tout de suite vu qu’il manquait un guillemet sur une ligne. Je ne suis pas moi-même codeur : je regarde le travail du développeur avec mon œil de typographe. Et mon œil voit de suite un double espace ou un caractère manquant. D’où l’intérêt de la relation appétence/curiosité pour le code, même si on ne le comprend pas techniquement parlant.
3 conseils que vous donneriez à un directeur marketing ?
1/ Il doit d’abord être « shooté » au digital. Un bon directeur marketing doit « irradier » le numérique autour de lui : influencer son dirigeant, créer de la transversalité dans ses équipes. Combien de patrons du CAC40 sont-ils réellement impliqués dans le numérique ?
2/ Il doit ensuite être attentif à l’expérience utilisateur, qui est constitutive de l’expérience de marque. Quand on évoque les interfaces homme/machine, on doit avoir à l’idée que l’homme (ou le client/consommateur) doit se sentir chez vous. Google Material Design est par exemple une démarche visant à travailler sur l’expérience utilisateur en termes d’interface. Et ils n’hésitent pas à offrir en open source les guidelines et les éléments graphiques (icones, palettes de couleurs, templates) à intégrer dans une interface pour offrir une expérience utilisateur optimale.
L’expérience utilisateur a une importance prépondérante dans les applications mobiles et dans l’appréciation que l’usager aura de la marque ou de l’entreprise. Prenons le cas de Blablacar. J’avais téléchargé leur application et m’étais retrouvé face à une interface de navigation toute moche. Comment peut-on révolutionner une pratique avec une interface aussi pauvre ? Et puis je mets à jour l’application et me retrouve avec une interface belle, agréable, fluide, qui donne envie d’utiliser le service et lui rend justice.
3/ Enfin j’engagerais tout directeur marketing à devenir le moteur de l’innovation numérique dans son entreprise : faire de la veille tendancielle, être curieux, se projeter dans des démarches d’opérations innovantes impliquant le dernier des employé autant que les cadres opérationnels et les dirigeants. C’est cette transversalité qui créera les vraies ruptures.