Vous googlelisez-vous souvent ?
Je ne peux pas dire que j’ai adopté une démarche active pour construire mon e-réputation. Je n’ai pas de raison d’analyser les contenus associés à mon nom référencés par Google. En revanche, il va de soi que nous suivons ce qui s’écrit online sur Jimmy Fairly. Notre attachée de presse fait régulièrement un état de l’opinion sur la marque en remontant ce qui se dit sur les blogs et la presse en ligne.
Votre première fois sur internet ?
J’ai été très tôt un passionné d’informatique avec un fort penchant pour le hardware et la programmation. Au collègue, je montais des PC que je revendais à mes copains et je programmais des jeux sur disquettes que je vendais aussi. Mon père a dû souscrire à une offre internet lorsque j’étais en 6ème : je pense qu’une des premières choses que j’ai faite, cela a été de télécharger de la musique sur Napster, plateforme illégale à l’époque. Je faisais aussi beaucoup de recherches sur Google pour le collège, c’était plus intéressant que d’aller consulter un livre sur les étagères d’une bibliothèque ! Ce n’est donc pas un hasard si j’ai fait des études d’ingénieur, spécialisation réseaux, télécoms et internet.
Un site ?
Avec internet, je trouve que la presse traditionnelle a cédé à la facilité du contenu vendeur qui fait de l’audience. Elle ne prend plus le temps de proposer un traitement de fond de l’information. Je me suis donc abonné à Mediapart et je le lis quasiment tous les jours. J’apprécie la démarche prônée par Plenel (ndlr : Edwy Plenel, co-fondateur du journal), c’est-à-dire, à la fois un journalisme qui analyse la société et propose des sujets d’investigation. Ce n’est pas un hasard si les 4 ou 5 dossiers chauds de ces dernières années ont été révélés par Mediapart. Le modèle du journal, financé par les abonnés, démontre aussi que la presse en ligne peut exister sur un modèle économique rentable.
J’ai aussi fait beaucoup de veille sur Springwise, une véritable mine d’or pour tout entrepreneur cherchant des idées de services, produits, ou entreprises innovantes.
52regards : C’est en parcourant ce site que le concept Jimmy Fairly a germé ?
Non, c’est à Antonin que je la dois (ndlr : Antonin Chartier est co-fondateur de l’enseigne de lunettes avec Sacha Bostoni). Nous nous sommes rencontrés lors d’un « Startup Weekend », concours toulousain dont j’assurais l’organisation. Antonin était venu présenter son idée : repenser l’idée de la distribution de lunettes en s’affranchissant des intermédiaires, afin de proposer des montures à un prix plus juste. Il a gagné le concours et m’a contacté quelques temps plus tard en me proposant de devenir son associé. C’est comme cela qu’est né Jimmy Fairly !
Un outil ?
Dropbox sans hésiter. Chez Jimmy Fairly, nous n’utilisons plus de disques durs pour stocker nos fichiers communs. Tout est sur le cloud : documents de travail, fichiers Excel, images, charte graphique, comptabilité, etc. Nous avons utilisé Google Drive un temps, mais nous rencontrions des problèmes de synchronisation. Seules nos données clients ne s’y trouvent pas, même s’il nous semble que Dropbox est une solution sécurisée.
Un projet, un exemple, un acteur à suivre ?
Je pourrais mettre en avant un acteur français du e-commerce, mais, aujourd’hui, peu d’entre eux gagnent leur vie. Il est très difficile de rentabiliser un commerce 100% web. Beaucoup d’entrepreneurs mettent énormément d’énergie à développer un modèle qui cible 5% du marché, avec en ligne de mire le mythe d’amazon. Ils sont focalisés sur leurs tunnels de conversion et leur coup d’acquisition AdWords – au passage, une des régies publicitaires les plus concurrentielles au monde, et épuisent leurs ressources en oubliant l’essentiel : ou sont leurs clients ? Ou consomment-ils majoritairement ?
Prenons par exemple la vente de chaussures. 90% du potentiel est dans la rue, en boutique, non sur internet. Des dizaines de pure players se livrent à une concurrence féroce sur le marché de la chaussure en ligne. Combien sont rentables ? C’est pour cela que Jimmy Fairly ne se focalise pas uniquement sur le web, mais sur nos concept stores, les points de vente physiques. Nous jouons sur la « fraicheur » de nos produits, en sortant de nouvelles collections tous les mois, tout en nous appuyant sur nos best sellers qui constituent une offre permanente. La clé du succès n’est pas uniquement le web : ce serait une erreur de penser cela. Le secret est d’avoir la main sur la production (en France pour nous) et d’être à l’écoute de notre clientèle. C’est exactement la philosophie de Zara : des lieux de production non loin des lieux de vente pour être réactif à la demande client.
Pour en revenir à votre question, je préfère donc citer un groupe à succès dont personne ne parle dans les médias car il ne dégage pas cette « aura » nouvelles technologie. Qui connait la société SMCP qui regroupe les marques Sandro, Maje et Claudie Pierlot ? Depuis 2007, leur chiffre d’affaire est passé de 7 à plusieurs centaines de millions d’euros, c’est-à-dire en à peu près autant de temps qu’Instagram. Donc le succès est possible en France ! Et ils auraient sans doute plus de choses à raconter que les prétendus « experts » des nouvelles technologies. Ils ont changé le paysage du retail et sont restés humbles dans leur succès. Je le dirais plus loin, les médias mettent beaucoup trop le coup de projecteur sur les tech et non sur les gens qui ont des expériences intéressantes et tangibles à partager. On en revient à la question : où est le client ?
Ce que vous détestez sur internet ?
Le fait de pouvoir aussi facilement se cacher derrière un écran entraine des comportements stupides et incite à la lâcheté. Quel intérêt, sous couvert d’anonymat, de tenir des propos blessants, contre-productifs, sur une personne ou une entreprise ? A notre lancement, nous avons subi ce genre d’attaque de manière anecdotique. La meilleure façon de réagir de ne pas prendre ce type de comportement au 1er degré et de l’ignorer.
Contribuez-vous personnellement à internet ?
Non, parce que j’estime n’avoir ni le temps, ni le talent pour le faire. Je n’ai pas encore forgé ma légitimité pour partager mon expérience entrepreneuriale. Je n’en suis qu’au début ! Je préfère rester humble et continuer à développer ma petite marque et mes boutiques. Ce n’est que lorsque j’estimerai avoir accompli quelque chose, que je me permettrai de prendre la parole. Regardez Elon Musk, personne ne l’a entendu au lancement de Paypal. Il ne s’est exprimé qu’après avoir réussi.
Avec le succès enviable d’une poignée de start-up, les médias ont porté un coup de projecteur sur les nouvelles technologies et favorisé l’émergence d’experts en tous genres faisant part de leurs idées, conseils ou opinions, alors qu’ils ne présentent aucun résultat probant. En France, le système médiatique privilégie l’éloquence à l’expérience. Pourquoi leur donne-t-on la parole ? Quelle légitimité ont-ils pour s’épancher sur le web business ? Qu’ont-ils réellement créé ? Je ne comprends pas ce phénomène propre aux nouvelles technologies.
L’internet de demain, vous le voyez comment ?
Je pense que nous vivons les dernières heures des navigateurs internet. Je consomme de plus en plus le web sur mobile via les applications. Ce n’est pas nécessairement une bonne nouvelle : les applications sont des univers fermés. Mais il faut reconnaitre que c’est plus simple au quotidien. Il me semble donc que le web apportera plus de commodité, de facilité et de rapidité.
Cela ne signe pas pour autant la mort du retail classique. Nous aurons toujours besoin d’un lieu physique pour vivre notre expérience d’achat, toucher les produits, sentir les odeurs, ou plus simplement rencontrer des gens. Le web ne changera pas l’expérience physique, même s’il simplifie le process d’achat : nous restons des animaux sociaux. Ce n’est pas un hasard si les chaînes et les grandes surfaces mettent l’accent sur l’expérience physique. Ce sont les acteurs qui le comprendront le mieux qui feront la différence face au tout web. Chez Jimmy Fairly, nous sommes attentifs à l’expérience client que l’on propose. Nous développons donc notre marque autour des magasins, et pas seulement sur un business model web centric.
Quel métier du web conseilleriez-vous à votre fils ou à votre fille ?
J’espère que je n’aurais jamais à lui recommander de métier. Je préfère lui offrir une bonne base d’éducation qui lui permettra de réfléchir par lui-même aux choix qui lui conviendront. Je trouve dramatique de vivre dans un système qui impose un cursus scolaire tout tracé pour certaines fonctions. C’est une usine à formater des commerciaux, des ingénieurs, des consultants, qui en définitive sont loin d’être tous heureux dans leur carrière, malgré un joli salaire. « Fais une école d’ingénieur, mon fils. Ça t’ouvrira des portes, tu pourras choisir ensuite ce que tu veux faire dans la vie. » Attention, je serais très heureux que mon fils ou ma fille devienne ingénieur si c’est son choix. Mais on met très tôt les enfants dans des cases selon les carrières de sortie, sans tenir compte de leur sensibilité et de leurs goûts. Nous avons toujours besoin de musiciens ou de couturiers, mais ils sont vus comme des parias car ils ne sortent pas des moules standards. Idem pour les cursus littéraires qui ne conduisent pas « naturellement » vers une fonction socialement valorisante. Ce que j’aimerais, c’est un système scolaire qui apprenne aux élèves à écouter ce que leur instinct leur dit. Nous en sommes encore loin.
Les conseils que vous donneriez à un directeur marketing ?
« Que disent mes clients de ma marque ou de mes services ? » C’est la question que devrait se poser tout bon directeur marketing. Chez Jimmy Fairly, nous utilisons le NPS (Net Promoter Score), un indicateur évaluant la satisfaction de nos clients après leur achat.
Il ne doit pas non plus oublier que le marketing est une science de la sensibilité. Produire des études chiffrées, c’est bien, mais elles ne remplaceront jamais la créativité. Apple est considérée comme une des plus belles réussites marketing, pourtant elle ne repose pas sur les études marketing, mais bien la sensibilité et le bon sens de Steve Jobs. De son côté, Orange est une société qui développe un marketing rationnel d’ingénieurs ne laissant place à aucune sensibilité : ils ont une chance sur deux de rater des opportunités commerciales.
S’il veut trouver l’offre qui fera vendre, je lui conseillerai donc de mixer cette sensibilité avec une connaissance approfondie de ses clients.