Jean-Paul Crenn - Consultant e-commerce - WebColibri

27 avril 2015
Jean-Paul Crenn
‘‘L’avenir est à la satisfaction du client !’’

Vous googlelisez-vous souvent ?

Jamais ! Ma veille est automatisée avec des alertes Google pour ne pas avoir à m’en préoccuper. Je suis ainsi les retombées sur mon nom, celles sur ma société et mes services, ainsi que sur les marques de mes clients. Pour l’anecdote, j’ai ainsi découvert des propos peu aimables tenus sur Twitter suite à une conférence à laquelle j’avais participé. Ces personnes pensaient que leurs échanges seraient restés privés et ils ont été étonnés du fait que j’aborde le sujet avec eux au détour d’une conversation…

Il me semble crucial pour toute entreprise de suivre son e-réputation. Prenons l’exemple d’une enseigne présente à Toulouse centre qui ne s’était jamais aperçue que Google indexait en première page de ses résultats des commentaires assassins de clients et d’employés mécontents. Plutôt embarrassant lorsque ce sont des néo-toulousains qui googlelisent le nom de votre marque…

Votre première fois sur internet ?

Dans les années 80, la société pour laquelle je travaillais avait des universités pour clients. Elles communiquaient entre-elles via le réseau Arpanet, un système internet assez abscons d’échanges de fichiers entre chercheurs. L’expérience utilisateur n’était pas terrible.

J’ai été confronté au web assez violemment en 1991, lorsque la directrice des acquisitions du CERN m’a présenté la première application de l’organisation en me disant : « Notre monde va changer et vous allez disparaître ». Je travaillais alors pour une société de services en informations, intermédiaire entre les éditeurs et d’importants centres de documentation. Le web supprime en effet tout intermédiaire entre l’information et son consommateur final. Ma direction s’en est inquiétée et nous avons cherché des solutions pour nous « désintermédiariser ». Nous avons pris la décision de créer l’un des tout premiers portails web payants offrant un accès libre à des fonds documentaires. Nous sommes allés jusqu’à aider les documentaristes à numériser leurs documents. Le portail a été mis en ligne en 1994 sous le nom d’Information Quest ; il était l’un des premiers à présenter un moteur de recherche en langage naturel basé sur la technologie Excalibur. Nous étions plutôt en avance : Le FBI utilise toujours Excalibur !

Un site ?

Zappos.com est pour moi l’un des plus beaux sites au monde – non pour son design mais pour son efficacité. Amazon ne s’y est d’ailleurs pas trompé en le rachetant en 2009. Ils ont ainsi acquis « une culture du client » très efficace, compliquée à mettre en place pour toute entreprise. Cela ne se résume pas à un système d’information.

Certes, pour nous européens, le site est moche. Mais les américains ont une autre sensibilité : ils préfèrent proposer la bonne offre, à la bonne personne, au sein d’un dispositif e-commerce à l’ergonomie sans faille et qui se charge vite. C’est cela un bon service au client.

Un outil ?

Mon smartphone : c’est devenu mon second cerveau et cela me gêne beaucoup. Apple véhicule auprès de ses clients l’image d’une marque innovante, qui change leur monde et les usages, et qui en définitive ne cherche qu’à vous faire acheter son dernier produit. Je trouve ce positionnement bien plus obscène que celui de Total ou Shell qui ne cachent pas ce qu’ils font réellement.

Un projet, un exemple, un acteur à suivre ?

Peut-être que je ne vais pas être objectif car ce sont d’anciens clients ! Je cite pourtant mes amis toulousains de Devatics pour leur approche rafraîchissante et intelligente du e-commerce. Leur atout principal est de mettre de l’agilité dans les stratégies digitales. Alors qu’un e-commerçant doit souvent composer avec la réactivité quelquefois défaillante de son agence web, les solutions de Devatics font en sorte que les mises en ligne soient facilement réalisées à la demande. Ce sont de très bon techniciens qui savent rester accessible, autant culturellement que financièrement.

Ce que vous détestez sur internet ?

Google AdWords ! J’ai dernièrement reçu un email de leur part m’annonçant : « Nous sommes là pour vous aider. » C’est surtout après mon argent qu’ils en veulent ! Un jour ou l’autre, le retour de bâton sera inévitable. Leurs pratiques commerciales sont purement capitalistes et ils ont l’impudence de se présenter comme des donneurs de leçon amicaux ! Google est dans une position dominante comme rarement nous en avons connu. Et vous imaginez bien que ces outils-là ne sont que des moyens servant d’autres buts comme la recherche sur les biotechnologies ou l’intelligence artificielle qu’ils financent allègrement.

Contribuez-vous personnellement à internet ?

Oui, dans un sens. J’ai écrit un livre sur le e-commerce, Le V.A.D.OR, Réussir e-Commerce et Vente à Distance (NDLR : il n’y a pas qu’Amazon dans la vie, pensez aux e-commerçants locaux !). Ce fut un moment important dans ma vie… et d’une pénibilité totale. Je garde aussi en mémoire le regard des lecteurs venant demander une dédicace : très émouvant et difficile à retrouver lorsque l’on produit du contenu sur internet.

Je rédige régulièrement des billets sur mon blog Strategie-e-commerce.info. Mais je ne pense pas que mon point de vue soit majeur ; je me dois cependant de le communiquer. La difficulté vient du temps que cela prend si l’on souhaite partager une réflexion construite, comme le fait Michel Volle, un économiste travaillant sur les systèmes d’informations.

Ce qui me manque le plus sur internet, c’est le feedback avec mes lecteurs : les partages sur les réseaux sociaux sont peu qualitatifs. Au-delà d’un possible effet de lynchage, on ne fait qu’absorber le tout-venant et le répéter sans se demander « qui parle ? », « pourquoi ? », « avec quelle orientation ? »

L’internet de demain, vous le voyez comment ?

Personne ne le voit, mais tout le monde en parle ! Je ne suis pas plus intelligent qu’un autre pour réussir à prédire le futur d’internet. Demain dépend d’événements totalement improbables, des « événements rares » qui bouleverseront l’ordre établi, comme les présentent Nassim Nicholas Taleb dans sa théorie du cygne noir. Peut-être vaut-il même mieux ne pas savoir ! Imaginons – et c’est fort probable – que le web deviennent notre second cerveau : ce seront alors des agents intelligents, implantés sous notre peau, qui gèreront notre vie.

Pourtant, ces changements ne se produiront peut-être pas du jour au lendemain. Ils dépendent des usages qui eux-mêmes évoluent lentement. Prenons le cas de la gestion du temps. Avec l’invention des premières horloges à quartz en 1929, nous nous en sommes affranchis. Aujourd’hui, le quartz est toujours au cœur des systèmes informatiques, donc des moteurs de recherche. Nous pouvons mieux gérer la complexité d’une préparation de voyage : choix de la destination, du vol, de l’hébergement, mais cela reste complexe. Demain, des agents intelligents gèreront cette complexité pour nous : cet avenir-là, on le prédit depuis les années 90.

Quel métier du web conseilleriez-vous à votre fils ou à votre fille ?

J’étais dans la situation de mes enfants en 1973, lors du premier choc pétrolier. Les japonais vendaient des montres au kilo ; on pensait qu’ils nous écraseraient par leur suprématie économique, sans en être totalement sûr. Personne n’avait non plus prévu le futur avènement du PC. Mon rôle de père est de les préparer à appréhender le monde (digital ou non), quel qu’il soit, en leur donnant des règles de vie, une éthique, des valeurs.

Les conseils que vous donneriez à un directeur marketing ?

Les directeurs marketing ? J’essaie de ne pas les rencontrer, ils m’horripilent trop ! Ils regardent toujours les choses par le petit bout de la lorgnette, en sont encore aux outils et aux technologies et ne prennent pas assez de recul par rapport aux tendances et aux usages. Ils ne prennent aucun risque à devancer ces tendances, bien trop occupés à couvrir leurs arrières. Le bon interlocuteur est celui qui a personnellement mis de l’argent sur la table et attend un retour sur investissement.

« Marketing is dead » pour paraphraser le directeur de l’agence Saatchi & Saatchi. Il s’agit maintenant de mettre le focus sur le souci du client et les stakeholders, plutôt que de penser en termes de parts de marché gagnées sur ses concurrents. Regardez Zappos : zéro budget marketing. L’avenir est à la satisfaction du client, et beaucoup l’oublient. En France, les directeurs marketing sont encore tétanisés, happés par le numérique, alors que les clients l’ont depuis longtemps intégré dans leurs usages.

Je vous engage à ce propos à lire De la curiosité: L’art de la séduction marchande de Franck Cochoy, sociologue du marketing à l’université Toulouse II : il nous aide à prendre un peu de recul sur les techniques marketing (NDLR: aussi en vente en ligne sur le site de la librairie toulousaine Ombres Blanches).

A propos de Jean-Paul Crenn :
Directeur fondateur de WebColibri, 1er Cabinet Conseil spécialisé e-commerce en France, Jean-Paul Crenn est aussi directeur co-fondateur du site de e-commerce Chouette Cards (faire part naissance, faire part baptême…. le site pour partager tous vos moments de bonheur). Il est l'auteur du VADOR, livre de référence sur le e-commerce, et partage son savoir auprès des étudiants de la Toulouse Business School et de l’IAE (Université Toulouse 1 Capitole). Selon ses propres mots, il "essaye d’écrire" sur son blog : Stratégie e-Commerce.

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