Guillaume Robert - Blogueur professionnel (Matosvelo.fr)

16 juillet 2015
Guillaume Robert
‘‘Les blogueurs n'ont pas de carte de presse, mais réalisent un réel travail journalistique : ils se déplacent sur les événements, interviewent, vérifient leurs sources, les rumeurs, et ne se cantonnent pas à la reprise de communiqués de presse !’’

Vous googlelisez-vous souvent ?

Uniquement pour mon blog Matosvelo.fr : je surveille ses positions sur Google et j’identifie les citations de mes articles que j’aurais pu rater sur d’autres sites. J’utilise Mention pour les reprises du nom du blog sur les réseaux sociaux et les sites. Pour les liens externes, je ne fais pas de veille active : je les identifie directement sur Google Analytics lorsqu’ils m’apportent du trafic. Je peux gagner entre 20 et 30% de visites supplémentaires en 24 heures lorsqu’un magazine américain fait un lien vers un de mes articles. Et, sachant que je n’écris qu’en français, je suis toujours agréablement surpris de voir dans mes statistiques que des visiteurs étrangers consultent certains scoops sur des nouveautés produits. Je vois aussi dans Google Analytics que beaucoup de visiteurs non francophones passent par Google Translate. Un bon indice de popularité.

Votre première fois sur internet ?

Ce devait être en 1996. Il fallait payer à France Télécom l’abonnement téléphonique et la consommation de données. Je surfais sur Yahoo! après 22h pour payer moins cher… Une autre époque. J’ai donc vécu l’arrivée de l’ADSL comme une vraie révolution : fini les longs chargements de fichiers et les pages qui mettaient un temps fou à s’afficher ! Je ne vois pas trop comment je pourrais revenir en arrière.

En 2001, j’ai créé mon premier site internet alors que j’étais en DESS à l’IAE de Toulouse. C’était tout simplement un forum pour rassembler les discussions des membres de ma promo. Le problème, c’est que cela a vite dérapé. Certaines personnes se sont mises à insulter les profs. J’en retire deux enseignements. Le premier est qu’on se fait rapidement au côté technique de la chose : ce n’est pas aussi compliqué que cela en a l’air. Le second, c’est la gestion de l’humain, son imprévisibilité bien plus difficile à gérer que le côté technique. C’était ma première expérience de modération !

Un site ?

Je ne vais pas faire dans l’originalité : Presse-citron.net reste pour moi une référence. Eric Dupin a été parmi les premiers blogueurs français et son site conserve l’esprit blog de la première heure, même s’il accueille depuis plusieurs auteurs. Au-delà de cela, il a trouvé la bonne formule pour durer 10 ans et parvenir à monétiser son modèle. Blog de référence sur la high-tech, il a rapidement pu vendre des encarts publicitaires aux marques. Il s’est aussi lancé dans les articles sponsorisés, même s’il n’en abuse pas. Pour mémoire, les prix tournent aux alentours des 1 000 € l’article. Et depuis quelques mois, il a lancé un espace premium ouvert à 12 00 lecteurs seulement : en échange de 35 € à l’année, ils ont un accès sans pub à divers services et événements et reçoivent une box de goodies high-tech.

Je dois dire que cela me fait beaucoup cogiter pour mon blog Matosvelo.fr, mais je n’ai pas encore trouvé la recette. J’ai testé l’appel au don qui m’a rapporté 1 500 €. Un japonais a même largement contribué ! Les lecteurs doivent se rendre compte que produire de l’actualité originale sur de nouveaux produits vélo demande à se déplacer sur les salons nationaux, voire internationaux, et les courses. C’est là que je peux trouver des scoops. Sinon, je reprendrais des communiqués de presse sans intérêt pour mes lecteurs. Je m’autofinance, je ne suis pas payé et je suis rarement invité par les marques. Et c’est un boulot qui donne des résultats vérifiables par le nombre de visites gagnées. Par exemple, je me suis déplacé au printemps sur le Critérium du Dauphiné où j’ai pu photographier un futur modèle de vélo Trek. C’est le genre d’exclusivité que je ne dois qu’à moi-même et c’est ce qui attire les visiteurs. D’ailleurs, j’ai reçu quelques jours plus tard un message de la marque qui m’a félicité pour le scoop, et m’a demandé d’afficher une bannière publicitaire pour le lancement du modèle.

Un projet, un acteur, un exemple à suivre ?

Skiller, lancé par Jérôme Introvigne. J’aime le personnage et l’organisation qu’il a mis en place pour le Groupe Poult, un système de management collectif, sans niveau hiérarchique : de l’employé au cadre, tout le monde peut participer au processus de décision de l’entreprise. L’idée était de s’affranchir des contraintes hiérarchiques qui ralentissent les prises de décisions, donc l’innovation. Le système doit toujours fonctionner puisqu’il est encore en place, même après le départ de Jérôme Introvigne.

Skiller prend le contrepied des réseaux comme LinkedIn où l’on affiche ses compétences professionnelles et ses diplômes. Le concept de la start-up est de valoriser la maîtrise d’une compétence ou d’un savoir-faire professionnel en venant en aide à la communauté. Un internaute pose une question, la communauté lui répond. Il n’y a pas plus simple.

Je trouve le concept intéressant pour les recruteurs. Ils peuvent évaluer in situ l’expertise d’une personne, ce qui est toujours plus fiable qu’un CV, un titre ou un diplôme.

J’y ai moi-même fait appel dernièrement. Je souhaite faire construire ma maison et j’ai des moyens limités. Je suis donc parti de ce que je sais faire : créer un blog et lui donner de la visibilité. Mon idée est de trouver des sponsors pour la construire en obtenant des gratuités ou des remises tarifaires d’artisans et de fabricants, en échange de la visibilité que je pourrai leur apporter sur le blog. Mais il fallait trouver un nom et un nom de domaine… J’ai tout simplement posé la question sur Skiller. Après un fructueux brainstorming, Onceuponamaison.fr était né !

Ce que vous détestez sur internet ?

Le vol de photos et le plagiat ! Je me suis souvent fait voler les photos de mon blog, alors que j’intègre pourtant ma signature aux clichés. Elles sont ensuite utilisées sans me créditer. Ces gens-là n’imaginent pas que ces photos ont un coût. Je me déplace à mes frais sur les événements cyclistes, donc la moindre des choses serait de me citer, au moins par respect pour mon travail. Je souligne que je ne vends jamais mes photos et que je cèderais gracieusement mes droits si on me le demandait.

Le plagiat, c’est autre chose. Google n’arbitre pas toujours en faveur de la source originale lorsqu’un contenu est réutilisé sur un autre site. On entre dans des problématiques de contenu dupliqué. Or, je vis de ce que j’écris : me voler un contenu textuel, c’est potentiellement pénaliser ma visibilité et gagner des visiteurs au profit du site internet qui le réutilisera. Je trouve déloyal qu’une source profite de mon travail pour se trouver mieux positionnée que moi sur Google. Je n’estime pas être un brillant auteur, mais je produis un réel travail rédactionnel. Donc si je m’aperçois qu’un de mes articles est intégralement repris, j’écris un mail à la source qui me l’a volé. En général, le plagiaire le retire rapidement. En revanche, pour les photos, les gens sont de plus mauvaise foi : ils en arrivent à me demander de prouver que j’en suis réellement l’auteur !

Comment contribuez-vous à internet ?

Je possède plusieurs blogs, dont deux sur le vélo. Tous deux sont nés d’une passion et je n’avais pas pour ambition initiale d’en vivre. En 2008, je lance Cycloblog.fr pour parler un peu de tout autour du vélo : sorties, entrainements, matériel. Lorsque j’ai vu que le sujet matériel prenait de l’ampleur, j’ai créé Matosvelo.fr (2011). Aujourd’hui, je vis de Matosvelo et, comme c’est toujours une passion dévorante, je ne compte pas mon temps. Alimenter un blog, c’est passer 5h par jour à écrire, sans compter la veille sectorielle, la recherche d’idées de nouveaux articles, les déplacements, le traitement des photos, l’alimentation des réseaux sociaux (Facebook et Twitter), et la modération des commentaires. Sans oublier les tests de produits !

En cumulé, je suis largement au-delà des 40h de travail par semaine. Mais je n’y vois aucune contrainte, je n’ai pas l’impression de travailler : je fais du vélo et j’en parle ! C’est très chronophage et ma vie de famille pourrait en souffrir, mais ma femme – qui est aussi dans la communication internet – voit que je m’épanouis dans mon boulot et me comprends.

Je dois cependant reconnaître que j’ai du mal à couper ; j’ai très rarement de temps morts, même pendant les vacances. Quand je coupe réellement, je m’arrange pour produire assez de billets pour programmer au minimum la publication automatique d’un article par jour. Matosvelo ne reste d’ailleurs jamais deux jours d’affilés sans nouvel article.

J’arrive à en vivre car j’ai réussi à monétiser mon audience avec de l’affiliation, c’est-à-dire des liens vers des sites e-commerce qui me rétribuent en fonction des clients que je leur envoie et de leur panier moyen. Je travaille actuellement avec trois régies (Netaffiliation, Zanox et Effilliation) pour pouvoir couvrir la plupart des sites e-commerce vélo. Je fais aussi un peu d’Adsense, mais cela rapporte nettement moins (entre 200 et 300€ par mois).

J’ai aussi commencé depuis quelques mois à vendre de l’espace publicitaire sur le blog pour que les marques y affichent leurs bannières. Je l’ai fait à l’initiative des marques. Par exemple, Trek est venu vers moi lorsqu’ils ont vu le buzz que j’avais créé autour de leur nouveau vélo. J’ai apprécié travailler pour eux car ils m’ont communiqué les performances de la campagne. Parmi tous les supports sur lesquels ils avaient acheté de l’espace, Matosvelo.fr avait été celui qui avait généré les retours les plus qualitatifs. Ce genre de données est important pour moi car je peux maintenant me situer par rapport à la concurrence !

Avec Onceuponamaison.fr, j’en suis encore au début (à peine un mois) et c’est un projet que je gère avec ma femme. Je m’engage à publier des photos, voire faire office de maison témoin lorsque ma maison sera construite. En capitalisant sur l’expérience acquise avec Matosvelo, j’ai contacté Somfy et Deltador (je dois reconnaitre que je suis plutôt geek et mon rêve serait d’avoir une maison connectée). Le vendredi, j’envoie un message à Somfy et ils me recontactent le samedi matin en me transmettant les coordonnées de leur installateur local. Déjà un retour positif, c’est bien parti !

L’Internet de demain, vous le voyez comment ?

La presse écrite (papier ou en ligne) va devoir rapidement se remettre en cause pour faire face aux modes de consommation des contenus numériques. Leur modèle économique est sous perfusion des subventions de l’Etat. Je fais exception ici du modèle de Mediapart qui semble fonctionner jusqu’à présent.

Les blogueurs, je l’espère, vont gagner en crédibilité journalistique. Nous n’avons pas de carte de presse, mais nous réalisons un réel travail journalistique : nous nous déplaçons sur les événements, interviewons, vérifions nos sources et les rumeurs. Nous ne nous cantonnons pas à la reprise de communiqués de presse !

Dans mon secteur, le matériel vélo, j’entre en concurrence avec les magazines papier spécialisés. J’espère que la vision qu’ont les marques des blogueurs va rapidement changer. Pour elles, presse signifie encore trop presse écrite avec une forte part de voix sur les consommateurs, et non médias 100% numériques, qu’elles cantonnent à des marchés de niche. Par exemple, en France, lorsqu’une marque envoie des invitations pour des événements presse, les trois principaux magazines de vélo sont encore prioritaires. Pourquoi ? Parce que la presse spécialisée fait du chantage pour conserver l’exclusivité sur certaines nouveautés (en échange d’un article flatteur ? de remises sur la publicité ?). Elle reste ainsi prioritaire sur les tests de vélos, et ne rend le matériel que lorsque le numéro est paru en kiosque, créant une sorte d’embargo sur l’information. Les blogueurs ramassent les miettes, alors qu’ils sont tout aussi pointilleux sur le compte-rendu d’un test, sinon plus.

Dans 10 ans, Matosvelo.fr n’aura peut-être plus le qualificatif de blog. Peut-être même que mon site aura évolué vers un format magazine, avec différents rédacteurs et testeurs spécialisés. Je délègue déjà le test de matériel féminin ainsi que la rédaction des comptes-rendus à une cycliste, car le sujet est très spécifique. Mais j’ai encore du mal à trouver de bons rédacteurs qui savent fidèlement et objectivement retranscrire leurs sensations aux lecteurs.

Quel métier du web conseilleriez-vous à votre fils ou à votre fille ?

Mon fils à 4 ans, il est donc difficile de se projeter dans 14 ans. Ce sera quoi le web ? Je pense qu’il aura la fibre et, avec une maman et un papa dans le métier, il n’aura pas à se confronter aux préjugés de ses parents du type : « blogueur, ce n’est pas un métier ! » Ensuite, je dois reconnaitre que mes diplômes ne me servent pas spécialement. Je ne le pousserai donc peut-être pas à faire de longues études comme ses parents. J’aimerais plutôt qu’il étende sa culture générale, qu’il diversifie ses centres d’intérêt. Dès qu’il aura l’âge, je l’inscrirai aux coding goûters organisés à Toulouse par la Cantine. Le codage informatique est devenu un fond culturel général qui peut servir tous les jours.

3 conseils que vous donneriez à un directeur marketing ?

1. Pour cibler vos relations publiques, ne vous cantonnez pas à la presse écrite classique, bien évidemment ! Votre cible va piocher de l’information là où elle se trouve, sur tous les médias, internet ou non.

2. Ne croyez pas tous les chiffres d’audience que vous présentent les médias web pour vendre leur espace publicitaire. Demandez des captures d’écran de leur compte Google Analytics et comparez les performances de chaque support sur des dimensions comparables (visiteurs, visiteurs uniques, pages vues, trafic naturel, etc.).

3. Visez les médias et les blogs hyper spécialisés, quitte à recevoir de leur part moins de trafic que depuis les carrefours d’audience généralistes. Ils proposent des contenus de niche, certes, mais qui parlent au consommateur final, car ils apportent du concret, de la précision, et un ressenti personnel à haute valeur ajoutée. Leur audience est donc très segmentée, donc plus qualitative. Vous verrez que vous en tirerez des retours plus qualitatifs, car en complète affinité avec les motivations de vos cibles.

A propos de Guillaume Robert :
Guillaume Robert se présente comme communicant digital et geek. Passionné d’internet depuis 1996, il crée son premier « réseau social », un forum pour sa promotion d’IAE, en 2001. Passionné de cyclisme, il crée en novembre 2008 un premier blog, Cycloblog.fr, qui sera suivi en mai 2011 d’un blog orienté matériel vélo, Matosvelo.fr/, qui génère aujourd’hui plus de 5000 visiteurs uniques par jour en moyenne et est devenu son métier. Oui, blogueur peut devenir un métier. Tour à tour communicant digital, blogueur, monétiseur et community manager, Guillaume fait part de ses expériences et compétences aux entreprises en tant que consultant en stratégie digitale.

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